De retour de l’édition 2015 de Museomix en Suisse, au Musée de la communication à Berne, voici quelques réflexions que m’inspirent les 6 projets des équipes.
Déjà Vu
Ce projet propose au visiteur d’enregistrer une séquence de journal télévisé des années 60 puis de la visionner dans le cadre (littéral) d’une téléviseur de l’époque grâce au recours à la réalité augmentée. Le tout est géré par une app sur une tablette qui permet l’enregistrement de la vidéo puis de la jouer incrustée au bon endroit dans l’image filmée de la salle des téléviseurs.
Très réussi, ce projet s’appuyait tout d’abord sur une belle maitrise technologique du sujet par le développeur de l’équipe qui lui même travaille dans une société développant des solutions de RA. La facilité de mise en oeuvre par l’intégration de tout le process dans une tablette est bien plus simple et convaincante que s‘ils avaient eu recours à plusieurs appareils en réseau, car celui qui tient en main la tablette va d’un bout à l’autre du process. (Des systèmes de ce genre vous mettant dans la peau d’un réalisateur télé sont courants dans des musées de sciences comme celui de Bergen ou le Tech Museum de San José. Mais ils découragent par l’ensemble des étapes à franchir et la déambulation d’un poste à un autre).
Le dispositif donne vie à cette collection de très beaux objets, qui retrouvent soudain leur fonction.
Le projet pourrait bien sur être travaillé et approfondi pour, par exemple, proposer un traitement sonore ou visuel en accord avec les capacités techniques qu’avaient ces téléviseurs. La médiation pourrait aussi jouer avec afin d’aborder la question de l’évolution du traitement de l’information au fil de cette histoire : en se documentant à partir des archives audiovisuelles présentent dans l’exposition, les visiteurs pourraient travailler le ton, le niveau de langage de chacune de ces époques relativement récentes.
Iceberg
En début de parcours, le visiteur reçoit un objet connecté (un iceberg) qu’il lui permet de bookmarquer ses objets préférés dans l’exposition. A la sortie de celle-ci, en posant son iceberg sur un totem, le visiteur déclenche un spectacle audiovisuel l’immergeant dans les collections associées à ces objets mais non montrées.
Nous sommes là dans un archétype de dispositif que l’on retrouve régulièrement dans les muséomix ou les projets de médiation numérique : un objet physique (tangible et portant peu d’interaction) par réaction au smartphone (qui est banal et entre en concurrence d’attention avec l’exposition), permettant d’une manière ou d’une autre de capter la trajectoire du visiteur ou ses préférences, pour lui permettre d’approfondir sa visite ou de l’emporter avec soi (et souvent d’interagir avec d’autres visiteurs) ou alors intégrant une logique de jeu.
Toutefois ce projet présente certains intérêts particuliers :
– la métaphore de l’Iceberg, évoquant la face immergée et invisible des collections du musée, fonctionne bien. Et la transparence de la glace est propice à des jeux de lumières subtiles (des leds permettent de percevoir les interactions).
– L’objet se porte à deux mains (ce qui peut être problématique quand on tient un plan du musée) mais ritualise la démarche physique du visiteur. Porter un objet à deux mains, comme une offrande, engage d’une manière assez particulière l’attention. Et la dépose de l’Iceberg sur son totem, comme une flamme portée à un piédestal, se prête bien à un effet scénographique qui dévoilerait ensuite les réserves.
On aurait aimé que l’équipe ait le temps d’aller plus loin dans une datavisualisation très graphique des collections du musée qui renvoie à la semi-transparence de la glace (et des IA de William Gibson …) .
Il reste que les projets impliquant la manipulation d’objets sont difficiles à généraliser et à exploiter en musée, hors du cadre d’une médiation de groupe.
X loves Y
Ce projet s’intéresse aux espaces non éditorialisés du musée de la communication : escaliers, toilettes, casiers de consigne… et il en fait des espaces de communication informelle interconnectée. Des surfaces permettent de dessiner des graffitis et d’y répondre à distance.
Mettant un coup de projecteur sur un autre type de communication, ce projet est très adapté au musée.
Il est cependant difficilement testable dans les conditions de muséomix : il faudrait en effet qu’il soit installé sur une longue durée et puisse induire des communications fortuites.
Il faudrait aussi rechercher un mode d’utilisation qui fonctionne en asynchrone : car les échanges synchrones au musée sont plutôt anecdotiques (comme on peut le voir sur le canapé de téléprésence de Luc Courchesne, dans le parcours permanent du musée), les visiteurs testant le système plutôt que s’engageant personnellement dans un échange véritable.
Pour ma part, ce projet m’inspire deux autres pistes (ben oui, j’ai le droit…) :
– coder une IA qui réponde à des graffitis par d’autres dessins et exprime subtilité, humour, surprise. Pour le coup, cela permettrait un échange synchrone et on ne pourrait pas forcément savoir si on est face à une machine ou un tiers.
– au lieu d’avoir une tablette ou un stylo, avoir un miroir que l’on couvre de buée et sur laquelle apparait des messages. Comme dans les bons films fantastiques…
Escape Key
Pendant la fermeture du musée, des objets du musée s’en échappent, ils circulent d’un visiteur à un autre, mais pour le transmettre, il faut aussi réaliser une tâche (comme raconter une histoire de libération). Le parcours de l’objet, et les contributions de ses hôtes sont visibles sur un site web contributif, dont l’adresse est encodée sous l’objet.
On voit bien le potentiel viral de ce projet et le message qu’il porte : "le musée de la communication de Berne ne s’intéresse pas qu’aux outils de communication mais à toute la communication humaine". La réussite du projet reposera sur la qualité des consignes qui seront données (et leur capacité à inspirer et mobiliser) et aussi le potentiel de l’objet voyageur.
Ainsi une réplique d’un poste de radio est assez inspirante : il porte en effet les fréquences des grandes villes d’Europe qui étaient les seules à émettre une radio à l’époque : le défi de faire voyager cette objet dans toutes ces villes prend alors beaucoup de sens.
L’équipe a eu raison de n’utiliser que des Qrcodes et un moteur adossé à Twitter : pas la peine de faire plus à ce stade pour les besoins du prototype et seule une technologie simple et accessible pourrait fonctionner sur les appareils personnels des visiteurs.
L’équipe pourrait travailler à développer un storytelling autour du projet et lui donner une identité plus forte encore.
On/Off
Les tables du restaurant du musée sont disposées sur une terrasse proche de l’entrée du musée. Lorsqu’on pose le coude sur la table et la tête dans la main, on entend des sons volés (en direct) dans le musée.
Ce projet utilise la condition osseuse qui a déjà été utilisée dans des projets d’artistes (cf Touch Echo ou The Handphone Table de Laurie Anderson).
N’ayant pas transducteur adapté sous la main, l’équipe a galéré à désosser des haut-parleurs et à avoir une solution qui fonctionne. Donc on n’a pas pu vraiment tester la magie potentielle du système.
La question de la manière de capturer le son n’a pas fait l’unanimité dans l’équipe : certains voulaient prendre des sons à l’insu des visiteurs et capter des ambiances, d’autres mettre des zones d’expression signalisées. Dans le deuxième cas, on rentre dans un dispositif proche des autres systèmes actuellement dans le musée (il y a déjà des téléphones et de la visio pour s’appeler entre différents endroits), simplement on le sort à l’extérieur (et on invite les visiteurs à prendre une consommation en terrasse).
Dans le premier cas, cela pourrait poser des problèmes de confidentialité et de droit, mais on serait dans une situation un peu plus décalée.
Reste la question des sons que l’on entend : en temps réel on risque la plupart du temps d’avoir du silence ou un vague bruit, si ce son est narratif on pourrait avoir la mauvaise impression d’avoir un audioguide dans la table. Il faut probablement trouver une solution où des sons sont enregistrés live à l’intérieur quand le niveau sonore (ou où l’on repère un langage) est suffisant, et où l’on boucle sur ces sons tant qu’il y a du silence.
Dans l’idéal, les tables seraient équipées sans signe visible et seuls les initiés ou ceux qui feraient ce geste fortuitement découvriraient le pouvoir de ces tables. Si l’expérience utilisateur est concluante la connaissance de cette faculté particulière de ces tables se répandrait par le bouche à oreilles.
Stampfie
Un photomaton qui sort votre portrait sous forme de grand timbres, avec un traitement graphique évoquant certains timbres de la collection, plus un mur sur lequel les visiteurs collent leur portrait.
Le dispositif tient vraiment bien sa promesse. Et alors que les vidéomatons et autres photomatons de musées ont souvent de la peine à mobiliser les visiteurs qui ne savent pas quel message ou pose avoir, ce n’est pas le cas ici à cause du traitement graphique qui est suffisamment original pour éveiller la curiosité des visiteurs.
La galerie de portrait qui en résulte est sympa et le geste de coller son sticker est plus concret et ludique qu’une galerie virtuelle.
Le dispositif pourrait s’affiner dans le traitement graphique et l’intégration d’éléments venant de la collection de timbres du musée qui recèle des perles.
Ces dispositifs sont à tester aujourd’hui au Musée et seront à nouveau montrés ultérieurement dans d’autres situations que prépare l’équipe de Museomix CH.